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Dans les coulisses du film Duelles : rencontre avec Anna Falguères, décoratrice

Comment se construit un décor de film ? Quels sont les particularités du métier de décorateur pour le cinéma ? Anna Falguères a répondu à nos questions.
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Dans les coulisses du film Duelles : rencontre avec Anna Falguères, décoratrice ©

Un film tourné en Belgique dans un décor coloré empreint d’une belle nostalgie : il n’en fallait pas plus pour titiller notre curiosité ! Rencontre avec Anna Falguères, décoratrice en chef du drame Duelles à retrouver sur grand écran dès le 24 avril prochain.

Duelles, c’est le titre du dernier film réalisé par Olivier Masset-Depasse et dont la sortie au cinéma aura lieu le 24 avril 2019. Un drame dont le décor aux allures très sixties nous a séduits par son réalisme et sa colorimétrie.

Tourné en Belgique, le film Duelles met en scène deux maisons liégeoises entièrement redécorées par une équipe de professionnels. A la tête de cette équipe se trouve la cheffe décoratrice Anna Falguères. Curieux d’en apprendre davantage sur les coulisses et le métier de décoratrice de film, nous sommes allés à sa rencontre.

Bonjour Anna, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Française d’origine, je suis arrivée en Belgique il y a vingt ans. Après quelques années à étudier le cinéma et la photographie à Paris, j’avais besoin de quitter la capitale française pour aller voir ailleurs. Bruxelles me semblait être une ville plus vivante. A cette époque, la ville était en pleine transformation. Lors de ma première visite, j’ai aimé ce sentiment et l’énergie qui se dégageait. J’ai donc décidé de suivre des amis qui passaient les concours d’écoles de cinéma et me suis installée avec eux à Bruxelles pour quelques années. Aujourd’hui, même si je travaille majoritairement en France, ma vie et mon cœur restent en grande partie à Bruxelles.

Comment êtes-vous devenue décoratrice sur des plateaux de cinéma ? Existe-t-il une formation spécifique ?

Malheureusement dans les écoles de cinéma francophones de Belgique il n’existe pas de section décors. Seul le RITS a mis en place quelques cours. Il n’y a donc pas de formation spécifique. Les décorateurs viennent souvent des domaines de l’architecture, des arts appliqués ou ont appris sur le tas.

En ce qui me concerne, j’ai embrassé le métier un peu par hasard. J’ai commencé en aidant des amis qui faisaient leurs films de fin d’études et cherchaient de l’aide pour donner à leur image un caractère plus travaillé. Ce premier apprentissage très amateur m’a néanmoins permis d’intégrer les équipes de films plus professionnels dans lesquels j’ai commencé par faire des stages avant d’être envisagée à différents postes.

J’ai eu la chance durant cette période de rencontrer des personnes qui ont partagés avec moi le goût et l’histoire du design et m’ont appris à avoir confiance en mon œil. Ensuite, certains des élèves pour lesquels j’avais fait les films de fin d’études ont commencés à réaliser leur premier long métrage et c’est comme ça que j’ai travaillé sur mes premiers décors.

Ce qui attire l’œil d’emblée dans le décor du film Duelles, c’est bien la palette de couleurs. Est-elle définie en collaboration étroite avec le réalisateur ? Y a-t-il des règles à respecter en matières de couleurs au cinéma ?

La palette de couleurs d’un film est une décision importante qui est souvent longtemps réfléchie en collaboration étroite avec le réalisateur mais aussi avec le directeur de la photographie qui met le film en lumière et qui est par conséquent le garant du rendu des couleurs.

« Duelles » se déroule au début des années 60. Pour ne pas tomber dans une reconstitution pastiche, nous devions donc retrouver dans les décors non seulement le début des années soixante mais aussi la décennie précédente. Afin de donner de la profondeur et de la crédibilité à ces deux familles, nous voulions faire apparaître la modernité des années 60 au regard de ce qui existait auparavant. En termes d’image et de couleurs, la difficulté était donc de marier la palette douce des années 50 avec l’arrivée des couleurs plus vives des années 60 et de faire cohabiter ces tons avec l’ambiance du film qui devait rester empreinte de mystère et de tensions puisque le scénario relevait du thriller psychologique.

A propos des règles à respecter en termes de couleurs, je dirais que chaque film établit ses propres règles. Selon la caméra, les éclairages utilisés, et le procédé de développement du film, les couleurs peuvent très vite paraitre très différentes de ce que nous voyons à l’œil. De plus, parfois certaines couleurs ne fonctionnent pas avec la carnation des comédiens ou le ton des costumes.

Pour « Duelles », avant le tournage, nous avons fait des essais filmés des différents tissus et peintures envisagés afin de nous assurer de la bonne concordance des teintes. Il était très important pour nous qu’il y ait une véritable cohésion, une vraie signature visuelle dans le film.

Le mobilier d’époque est superbe. Avez-vous une pièce coup de cœur sur ce décor ?

Le design des années 50 et 60 a connu un tel succès ces dernières années, il s’est tellement démocratisé que je tenais, pour rendre les intérieurs convainquant et vivant, à m’éloigner des pièces et des designers les plus connus.

Le piège était de reproduire un très beau show-room, c’est ce que je voulais éviter. Je me suis donc attelée à dénicher des pièces plus discrètes et pour contrebalancer le déjà vu et amener une sensation de vérité, j’ai effectué un énorme travail de recherche sur les intérieurs de particuliers à l’époque, les tissus et les films de cette période. Au final, cela a été un travail formidable et très enrichissant de contourner les pièces et les signatures majeures pour mettre à l’honneur des designers plus confidentiels, et d’ailleurs souvent belges.

Pour ma part, j’ai un attachement particulier à la sculpture murale en métal que nous avons mise au-dessus du canapé rouge dans la maison d’Alice. Je voulais une pièce légère et graphique qui évoque la fuite, l’évasion. Mes équipes ont longtemps cherché avant de trouver cette pièce qu’un collectionneur privé a bien voulu nous prêter.

On devine que la crédibilité se joue dans l’attention portée aux petits détails (presse de l’époque, vaisselle, objets collector,…). Dressez-vous au préalable une liste précise d’objets à dégoter ? Qui se charge de les chiner ?

Chaque détail participe effectivement à la crédibilité. Ils sont pour moi un des outils qui rendent les personnages vivants, racontent une histoire ou parfois même un trait de caractère. Dans les équipes de décors, le travail sur les accessoires est très préparé. Il n’est pas laissé au hasard, particulièrement sur un film d’époque.

De manière générale nous distinguons les accessoires de jeux (c’est à dire tous les accessoires apparaissant au scénario ayant un rôle dans la narration et qui sont manipulés par les comédiens) des accessoires de vie (tout ce qui fait la vie du décor mais sera moins mis en avant à l’image). Pour ma part, j’aime travailler « à l’américaine » et porter une attention particulière dès le début du travail de préparation aux accessoires de jeux.

Dès réception du scenario, les accessoires sont listés très précisément, scène par scène. Ensuite, mon équipe et moi entamons une recherche d’images et de références. Dès que nous savons de façon plus précise ce que nous devons trouver, et ce que nous devrons fabriquer, les recherches véritables commencent. C’est le régisseur d’extérieur ou l’assistant ensemblier qui est chargée de cette recherche et du suivi d’éventuelles fabrications et parfois cela relève véritablement de la chasse au trésor.

Bien sûr, je valide chaque accessoire avant de les présenter au réalisateur, au chef opérateur et parfois aux comédiens lorsqu’ils relèvent d’une sphère plus intime.

Pour ce qui est des accessoires de vie, mon équipe et moi les rassemblons au fil de la préparation. Le volume qu’ils représentent est souvent issu d’un subtil mariage entre coups de chance au marché aux puces ou sur les sites de secondes mains et locations dans plusieurs props-house belges, françaises, allemandes ou encore anglaises.

Mon équipe a fait un travail fantastique que ce soit sur les plantes, l’électro-ménager, la vaisselle, la presse ou encore la nourriture de l’époque. Nous avons pris un plaisir immense à imaginer ce que ces deux familles auraient eu chez elle et avons choisies chaque détail en fonction de la véracité de leur présence et des touches de couleurs qu’ils apporteraient au décor.

Enfin, quel est selon vous le plus chouette aspect de ce métier atypique ?

Les rencontres avec les réalisateurs, le dialogue autours de leur vision et le défi qu’est de restituer l’univers qu’ils ont imaginés et rêvé depuis parfois plusieurs années. J’apprécie également l’absence de monotonie. Chaque film est différent et certains projets me donnent accès à des lieux, des métiers et des personnes d’une incroyable diversité.

Mon amour et ma curiosité pour les meubles et les objets ne fait que grandir, j’aime encore me promener à la première heure au marché aux puces, particulièrement au printemps. Et lorsque je ne suis pas en train de travailler pour le cinéma, j’aime mettre mon expérience et mon carnet d’adresse au service de quelques chantiers privés.

Infos pratiques

“Duelles”
Réalisateur : Olivier Masset-Depasse
Sortie au cinéma : 24 avril 2019

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